Le débat sur ce texte a pris une tournure déconcertante, voire irritante.
Nous sommes tous convaincus de la nécessité de préserver la biodiversité et les équilibres climatiques. Comme certains de mes collègues, j’ai siégé au Congrès qui, le 28 février 2005, a adossé à la Constitution la Charte de l’environnement, un texte précurseur, précis, dont l’efficacité juridique est démontrée.
Si de nouveaux instruments juridiques sont nécessaires, nous les voterons, comme nous l’avons fait, à l’unanimité, pour ratifier l’accord de Paris.
Mais ce texte est d’une ambiguïté extraordinaire ; le Gouvernement lui-même semble ne pas en mesurer les effets juridiques. À la vérité, le Gouvernement veut se racheter en nous faisant voter sans filtre cette proposition de la Convention citoyenne pour le climat, alors qu’il n’a pas donné suite à trois autres de ses propositions de révision constitutionnelle.
Nous sommes ainsi contraints d’aborder cet examen à l’envers : alors qu’il conviendrait de s’accorder sur les objectifs à atteindre, puis sur les changements dans le droit en vigueur qu’ils impliquent, avant de rechercher la rédaction qui y contribue le mieux, nous devons commencer par l’exégèse de ce texte, en essayant de discerner comment le juge l’appliquera. Le débat est devenu sémantique, plus que politique.
Dans sa décision du 31 janvier 2020, le Conseil constitutionnel a dégagé de la Charte de l’environnement la protection de celui-ci comme objectif à valeur constitutionnelle, en tant que participant de notre patrimoine commun. Or, vous vous fondez sur cette décision pour faire valoir qu’il ne fixe pas d’obligation. Cela manque de rigueur.
D’abord, un tel objectif s’ajoute aux obligations liées à la Charte ; il ne s’y substitue pas. De plus, les objectifs à valeur constitutionnelle ont une pleine valeur normative.
« Vous avez déclaré, Monsieur le garde des Sceaux, qu’il était difficile de faire aboutir une QPC sur le fondement de la Charte de l’environnement. Cela n’est pas juste : le droit de vivre dans un environnement préservé peut déjà être invoqué dans le cadre d’une QPC, de même que les droits d’information et de participation prévus à l’article 7 de la Charte. D’autres principes énoncés par celle-ci peuvent également être invoqués en QPC, en tant qu’ils constituent le corollaire du droit à un environnement équilibré et respectueux de la santé : le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement cité à l’article 2, le principe de prévention à l’article 3 et le principe de réparation à l’article 4.
Le Conseil constitutionnel ne s’est pas encore prononcé sur l’invocabilité en QPC du principe de précaution, mais la solution serait sans doute la même.
Votre rédaction, avec le terme « garantit », faciliterait l’engagement de la responsabilité des pouvoirs publics en leur imposant une quasi-obligation de résultat, mais cette dernière notion n’a aucun contenu défini en droit.
Quelle en serait la portée ? Quelle juridiction serait chargée de le faire appliquer ? Bref, à quel régime de responsabilité songez-vous ? »
Le Conseil d’État a certes évoqué la notion de quasi-obligation de résultat, mais pour souligner le caractère incertain de ses effets juridiques. S’en prévaloir relève du sophisme.
Autre objectif affiché, celui de rehausser la place de la préservation de l’environnement dans la Constitution. Rehaussement, dites-vous, n’implique pas hiérarchisation. Cette interprétation fait peser un doute sérieux sur les conséquences juridiques de votre proposition. En effet, l’utilisation du terme « garantit » laisse entendre que la protection de l’environnement aurait un poids supérieur dans la conciliation entre les principes constitutionnels.
La commission des lois juge une telle priorité déraisonnable. Les pouvoirs publics doivent avoir la possibilité d’arbitrer en fonction des circonstances. Nous aurions pu rejeter ce texte, mais nous ne l’avons pas souhaité. Dans un esprit constructif, nous défendons une rédaction plus sûre juridiquement, inspirée des recommandations du Conseil d’État, dans son avis d’extrême prudence.
L’obligation de moyens ou de résultats n’est pas de même nature en droit constitutionnel qu’en droit civil.
En outre, la Charte établit, à son article 6, une définition du développement durable en tant que conciliation de la préservation de l’environnement, du développement économique et du progrès social. Le Conseil constitutionnel s’est appuyé sur cet article pour définir un équilibre.
La commission des lois considère que le verbe « garantir » comporte des risques : aucune certitude ne s’est dégagée de nos auditions quant à son interprétation. Nous avons préféré le terme «préserve», en y ajoutant la mention du climat et en renvoyant à la Charte de l’environnement de 2004, qui a donné lieu à une jurisprudence bien établie. Nous n’avons pas voulu constitutionnaliser le doute que
porte le verbe «garantir».