30/11/2021 : Colloque de l’IHEMI sur la procédure législative

par | 3 Déc 2021 | Commission des Lois, Sénat

30/11/2021 : Colloque de l’IHEMI sur la procédure législative

3-Déc-2021 | Commission des Lois, Sénat

Mon intervention au cours du Colloque de l’IHEMI organisé au Sénat :

« Le président du Sénat n’a malheureusement pas pu être des nôtres aujourd’hui et vous saluer.
Je me fais son interprète pour vous accueillir au Sénat et vous dire combien il est important de bien connaître les contraintes qui s’exerce sur le Parlement en général, et sur la chambre haute, en particulier.

1. Une procédure marquée par le bicamérisme :

a. Deux chambres
– L’AN : 577 députés élus au suffrage universel direct tous les 5 ans
– Le Sénat : 348 sénateurs élus pour 6 ans (et renouvelé par moitié tous les 3 ans) au suffrage universel indirect par 162 000 grands électeurs (dans chaque département : députés et sénateurs, conseillers régionaux, conseillers départementaux, conseillers municipaux). Scrutin majoritaire pour les départements comptant jusqu’à 2 sénateurs ; scrutin proportionnel au-delà.

b. Deux représentations complémentaires de la Nation
Le Sénat :
– Chambre des territoires, affirmée par l’article 24 de la Constitution : « Il assure la représentation des collectivités territoriales de la République ». En pratique, cela se caractérise notamment par le fait que les PJL relatifs aux collectivités territoriales y sont examinés en premier.

– Seule institution constitutionnelle « politique » déconnectée de l’élection présidentielle :
o assemblée permanente (avec le renouvellement par moitié) ;
o le mandat de 6 ans permet d’enjamber la durée du mandat présidentiel et celle du mandat des députés ;
o le Sénat ne tire pas sa « légitimité politique » du Président de la République

c. Les organes du Sénat
Les organes sont constitués à proportion de l’importance des 8 groupes politiques constitués au Sénat : Les Républicains ; Socialiste républicain et écologiste ; Union centriste ; Rassemblement démocratique et social européen ; Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants ; Communiste républicain citoyen et écologiste ; Les Indépendants ; Ecologiste solidarité et territoire.
– Les organes « directeurs » : Le président du Sénat et le Bureau du Sénat
– L’organe de « gestion » : Le conseil de Questure
– Les organes « législatifs » :
– la Conférence des présidents (regroupant les présidents des groupes politiques et les présidents des commissions permanentes), qui organise l’ordre du jour de la séance publique ;
– les 8 commissions permanentes, qui ont chacune un champ de compétence particulier : Culture, Social, Développement durable, Etrangères, Economique, Finances, Lois. A ce titre, la commission des lois n’est qu’une commission « législative » avec les 7 autres commissions, mais elle assume à elle seule plus de 50 % (l’an dernier plus de 60 %) des textes dont est saisi le Sénat.

2. La « navette » législative
La navette, c’est l’examen successif d’un texte législatif entre les deux assemblées, avec deux priorités d’examen :
– L’une pour l’Assemblée nationale, pour les textes budgétaires (PLF initiale ; PLF rectificative) et sociaux (PLF sécurité sociale) ;
– L’autre pour le Sénat, pour les textes relatifs aux collectivités territoriales.

a. Caractéristiques générales

– Procédure fortement contrainte par le Gouvernement (parlementarisme rationalisé) :
o Qui maitrise la moitié de l’ordre du jour parlementaire, et surtout peut inscrire les textes de son choix dans chaque assemblée ;
o Qui peut demander le recours à la procédure accélérée qui permet, d’une part, de ne pas respecter le temps de procédure habituelle (6 semaines minimum entre le dépôt et la lecture en séance dans la première assemblée saisie ; 4 semaines minimum dans la seconde) et, d’autre part, de réunir la commission mixte paritaire dès la fin de la première lecture dans chaque chambre. Entre 75 et 80 % des PJL font l’objet d’une procédure accélérée.

– Procédure déséquilibrée au profit de l’Assemblée nationale (bicamérisme inégalitaire) :
o sauf pour les textes constitutionnels et ceux relatifs au Sénat, l’Assemblée nationale a le dernier mot : s’il n’y a pas eu d’accord à l’occasion de la cmp ou, à l’issue d’une nouvelle lecture dans chaque chambre, l’Assemblée nationale statue définitivement (lecture définitive) en retenant son propre texte de nouvelle lecture avec, le cas échéant, les amendements du Sénat en nouvelle lecture qu’elle souhaite retenir.
o Mais dans les faits : plus de 80 % des textes examinés par le Parlement sont adoptés par accord des deux chambres
o Le Sénat gagne toujours à un accord avec l’Assemblée nationale, car il lui permet ainsi d’influencer réellement les orientations d’un texte.

– Le processus législatif est relativement long : selon les années, la moyenne oscille entre 170 et 230 jours entre le dépôt et l’adoption définitive. Il est nécessaire pour mener des travaux préparatoires sérieux et utiles pour que chaque chambre puisse se prononcer en toute connaissance de cause. Car le processus législatif est un processus « ouvert » qui fait intervenir plusieurs acteurs :
o Des acteurs législatifs : Gouvernement (échange avec les cabinets ministériels ou les administrations centrales) et acteurs parlementaires (autres organes et groupes politiques) ;
o Des acteurs de la société civile, dont les contributions animent aussi le débat et sont relayées lors d’auditions menées par les commissions et, parfois, par des propositions d’amendements reprises par des parlementaires.

– Mais il faut relativiser cette longueur du processus législatif :
o L’adoption de certains textes particulièrement urgents peut intervenir en moins de 15 jours à compter du dépôt du projet de loi sur le bureau d’une assemblée (notamment les différents textes sur l’état d’urgence sanitaire) ;
o Une loi est souvent adoptée bien plus rapidement par le Parlement que ne l’est une ordonnance prise par le Président de la République (avec des délais d’habilitation qui vont de 3 mois à 24 mois selon les demandes du Gouvernement) ; ce qui remet à sa juste mesure l’argument qu’en cas d’urgence, il faudrait nécessairement recourir à la législation par ordonnance.

b. Un processus en trois étapes, dans chacune des chambres

– Première étape : le dépôt d’un texte législatif : Projet de loi ou proposition de loi :
o Le Gouvernement comme les parlementaires ont un droit d’initiative des lois : le Gouvernement peut déposer des PJL (après notamment un passage obligatoire en Conseil d’Etat, conseil juridique du Gouvernement) tandis que chaque parlementaire, individuellement ou collectivement peut déposer des PPL.

o Depuis la révision de 2008, il y a même une semaine par mois réservée aux PPL, tandis que deux semaines sont réservées aux PJL, ce qui garantit une discussion publique de textes d’initiative parlementaire (même si cette initiative parlementaire n’est parfois qu’une initiative gouvernementale déguisée : ex. PPL Sécurité globale ; PPL Sécurité civile) ;

o Pour garantir le pluralisme politique de l’initiative parlementaire, des « droits de tirage » qui s’exerce dans des « espaces réservés » permettent à chaque groupe politique minoritaire ou d’opposition de faire discuter par le Sénat (l’Assemblée nationale a un dispositif similaire) les propositions de loi de leur choix. Et, au Sénat, un « gentlemen’s agreement » a été institué pour que ces textes d’initiative minoritaire ou d’opposition ne puissent être modifiés en commission sans l’accord de l’auteur de ces textes.

– Deuxième étape : l’examen en commission

o Depuis la réforme constitutionnelle de 2008, l’examen en commission a pris une importance considérable, car le texte qui sera examiné en séance publique sera le texte rédigé par la commission (sauf PJL constitutionnels, PLF et PLFSS). En pratique, cela a une importance réelle, car la base de la discussion politique est ce que la commission a décidé ; et les amendements présentés en séance publique sont en réaction à la position de la commission.

o Un texte est renvoyé à une seule commission, mais une ou plusieurs autres commissions peuvent décider d’examiner ce texte : on les appelle des commissions saisies « pour avis ». C’est ce qui se passe, par exemple, dans des textes protéiformes comme le PJL 4D/3DS. Parfois, quand il s’agit d’un texte qui implique plus de 3 commissions, on crée une commission spéciale, c’est-à-dire un organe qui a vocation à examiner un texte, mais qui disparaitra dès ce texte adopté (par ex : pour la loi PACTE en 2018-2019).

o Dans une commission, les travaux sont organisés par le président de cette commission. Mais le rouage le plus important est le rapporteur du texte (ou parfois les rapporteurs). C’est lui qui fait l’essentiel des travaux préparatoires, qui consiste en l’analyse juridique du texte et la détermination des évolutions qu’il proposera à la commission d’adopter. Pour ce faire :

 il procède à des auditions, recueille des contributions écrites, afin de recueillir, à charge et à décharge en principe, les observations et réactions que suscite le texte auprès de la société civile ou d’autres acteurs publics ou parapublics. C’est là que les groupes d’intérêts (lobbies) manifestent leurs positions par rapport au texte et suggèrent des modifications. Il revient au rapporteur de synthétiser ces apports extérieurs et de proposer les évolutions qui lui apparaissent juridiquement et politiquement souhaitable. Pour les textes importants, les rapporteurs peuvent auditionner une quarantaine d’organisations, ce qui représente un temps considérable (d’où les délais incompressibles d’examen des lois).
 Puis le rapporteur, comme les autres sénateurs voire le Gouvernement, propose des amendements au vote de la commission, qui les adopte ou les rejette. Chaque année en moyenne, 5 000 amendements sont déposés en commission ; près de la moitié d’entre eux sont adoptés. Le rapporteur synthétise et explicite les changements intervenus et leur motivation dans un rapport écrit qu’il rédige avec le concours de fonctionnaires mis à disposition par le Sénat ou l’Assemblée nationale (les administrateurs). Et les différents amendements adoptés par la commission sont « incorporés » dans ce qu’on appelle le « texte de la commission » qui sera soumis à l’appréciation des sénateurs en séance publique.

– Troisième étape : l’examen en séance publique (l’hémicycle)

o L’examen en séance publique vient « valider » la position de la commission, souvent en l’ajustant en adoptant des amendements au texte de la commission.

o La séance publique est « un peu une représentation théâtrale » avec quatre temps immuables :
 une présentation du texte originel déposé (par le Gouvernement ou par le parlementaire qui en est l’auteur) ;
 une présentation de la position qu’a retenue la commission à l’issue de ses travaux ;
 une présentation de chacun des groupes politiques de sa position générale sur le texte de la commission ;
 une discussion et un vote de chacun des articles du texte, éventuellement modifié par un ou plusieurs amendements eux-mêmes discutés et soumis au vote ;
 un vote sur l’ensemble du texte, incorporant les amendements déjà votés.

o La séance publique =
 830 h de discussion par an (session ordinaire + sessions extraordinaires), dont 20 % se font de nuit (après 21h30, en général jusqu’à 0h30 ; parfois jusqu’à 4 ou 5 heures du matin…).
 10 000 amendements déposés. Certains d’entre eux (en moyenne 5 %) ne sont pas discutés car ils sont irrecevables :
• Soit parce qu’ils créent une charge financière qui ne peut être compensée par des recettes (irrecevabilité prévue par l’art. 40 de la Constitution) ;
• Soit parce qu’ils sont sans lien réel avec le texte déposé : « cavaliers législatifs » (irrecevabilité prévue par l’art. 45 de la Constitution) ;
• Soit parce qu’ils ne relèvent pas du domaine de la loi (puisque depuis 1958, le Parlement ne peut intervenir pour voter la loi que dans un nombre limité de matières prévues par l’article 34 de la Constitution) (art. 41).
 En moyenne, seuls 20 à 25 % des amendements déposés sont adoptés.

o A l’issue de cette troisième étape, le texte est prêt à être transmis à l’autre chambre, à moins que le Gouvernement n’ait décidé de réunir la commission mixte paritaire. Dans ce cas, 7 sénateurs et 7 députés se réunissent pour tenter de trouver un accord sur le texte, en tentant de parvenir à des concessions réciproques acceptables par la majorité de chacune des deux chambres.

3. La fin de la « navette » législative
Une fois que la navette est parvenue à son terme, soit par accord des deux assemblées, soit par lecture définitive par l’Assemblée nationale, la loi adoptée n’a pas encore de valeur obligatoire.

Pour cela, il faut qu’elle soit promulguée par le Président de la République (c’est une prérogative constitutionnelle) puis publiée au Journal officiel de la République française.

Mais avant cette étape ultime, peut s’intercaler l’intervention du Conseil constitutionnel qui, en application de l’article 61 de la Constitution, peut être saisi avant promulgation :
– Soit par le Président de la République, le Premier ministre, le Président de l’Assemblée nationale ou le Président du Sénat ;
– Soit par au moins 60 députés ou 60 sénateurs.

Ce contrôle de constitutionnalité est en fait une arme politique aux mains des groupes minoritaires, qui peuvent tenter de remettre en cause certaines lois ou certaines dispositions de la loi. Et dans ce domaine, le Conseil constitutionnel contrôlera :
– Le respect par le Parlement de certaines règles de procédure (par exemple, les irrecevabilités. Cf notamment dans la PPL Sécurité globale, de nombreuses censures pour « cavaliers législatifs » qui ont obligé le Gouvernement à proposer de revoter dans le PJL Responsabilité pénale et sécurité intérieure les mêmes dispositions que celles déjà adoptées par le Parlement dans la PPL Sécurité globale) ;
– Le respect de certains principes constitutionnels de fond : par exemple, le principe d’égalité, etc.
C’est la raison pour laquelle le Parlement doit tenir compte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel lorsqu’il intervient, et les rapporteurs sont attentifs en particulier à ce que les textes présentés ou les modifications proposées soient compatibles avec cette jurisprudence.  »

Contacter François-Noël Buffet

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