L’essentiel sur le projet de loi D’ORIENTATION ET DE PROGRAMMATION DU MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR (LOPMI)

par | 6 Oct 2022 | Non classé

L’essentiel sur le projet de loi D’ORIENTATION ET DE PROGRAMMATION DU MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR (LOPMI)

6-Oct-2022 | Non classé

 

 

Après avoir entendu M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer, le 21 septembre 2022, la commission des lois, réunie le mercredi 5 octobre 2022 sous la présidence de M. François-Noël Buffet, a adopté avec modifications, sur le rapport de MM. Marc-Philippe Daubresse et Loïc Hervé, le projet de loi n° 876 (2021-2022) d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur.

Reprise d’une partie du projet de loi d’orientation et de programmation pour le ministère de l’intérieur déposé par le Gouvernement sur le bureau de l’Assemblée nationale le 16 mars 2022, le projet de loi n° 876 déposé sur le bureau du Sénat le 7 septembre 2022 comprend seize articles : deux programmatiques et quatorze normatifs, relatifs pour la grande majorité de ces derniers à la procédure pénale.

La commission a adopté plusieurs amendements destinés à mieux encadrer les évolutions proposées lorsqu’elles le nécessitaient, comme sur les amendes forfaitaires délictuelles par exemple, à aller plus loin dans les simplifications de procédure envisagées, et à améliorer la réponse pénale sur trois enjeux essentiels : les violences faites aux élus, les refus d’obtempérer et les rodéos urbains.

  1. UNE PROGRAMMATION BUDGÉTAIRE QU’IL CONVIENDRA DE CONFIRMER

Le projet de loi comporte en premier lieu deux articles de programmation budgétaire.

L’article 1er tend à approuver le rapport annexé au projet de loi qui comporte un ensemble de mesures de modernisation du ministère de l’intérieur destinées à être mises en oeuvre entre 2023 et 2027. Trois objectifs sont affirmés : augmenter la présence des forces de sécurité intérieure sur la voie publique, faire face aux nouvelles frontières, notamment numériques, et mieux prévenir les menaces et crises futures.

Afin de mettre en oeuvre les objectifs fixés par le rapport annexé pour les années 2023 à 2027, l’article 2 prévoit une progression chaque année du montant des crédits de paiement et plafonds des taxes affectés au ministère de l’intérieur. Au total, quinze milliards d’euros supplémentaires seraient budgétés sur cinq ans par rapport aux crédits affectés au ministère de l’intérieur en 2022.

Ces deux articles relèvent de ce que l’article 34 de la Constitution qualifie de lois de programmation, chargées de déterminer « les objectifs de l’action de l’État ». Si la commission des lois ne peut que saluer l’augmentation budgétaire prévue et la visibilité données par le vote d’une loi de programmation – que le Sénat appelle de ses voeux depuis longtemps –, elle se montrera attentive à ce que cette programmation soit effectivement réalisée dans les années à venir qui seront porteuses de nombreux enjeux pour le ministère de l’intérieur.

Augmentation programmée des moyens du ministère de l’intérieur (2023-2027) – En millions d’euros CRÉDITS DE PAIEMENT ET PLAFONDS DES TAXES AFFECTÉES

hors compte d’affectation spéciale « Pensions »

2022 (pour mémoire)

2023

2024

2025

2026

2027

Budget du ministère de l’intérieur, en millions d’euros (hors programme 232)

20 784

22 034

22 914

24 014

24 664

25 294

Évolution N/2022

+ 1 250

+ 2 130

+ 3 230

+ 3 880

+ 4 510

Total crédits supplémentaires

15 000

Évolution N/N-1

+ 1 250

+ 880

+ 1 100

+ 650

+ 650

Taux d’évolution N/N-1

+ 6 %

+ 4 %

+ 5 %

+ 3 %

+ 3 %

Taux d’évolution 2027/2022

+ 21,7 %

S’agissant du rapport annexé, la commission a considéré que les mesures proposées, bien que de nature très diverse, allaient globalement dans le bon sens : celui d’une modernisation du ministère de l’intérieur et des équipements à la disposition de ses agents afin de leur permettre de réaliser leurs missions dans un monde qui évolue. Elle a adopté plusieurs amendements, dont l’un visant à mentionner explicitement dans le rapport que la réforme actuellement en réflexion de l’organisation de la police nationale devra prendre en compte les spécificités de la police judiciaire, dans l’attente que la mission d’information sur l’organisation de la police judiciaire créée en son sein rende ses conclusions.

  1. DONNER À LA FILIÈRE INVESTIGATION DES CAPACITÉS ACCRUES
  2. UN CONSTAT PARTAGÉ DE DÉSAFFECTION DE LA POLICE JUDICIAIRE, ESSENTIELLEMENT DANS LA POLICE NATIONALE

Alors que la police judiciaire a longtemps constitué la principale motivation des personnels s’engageant dans la police, l’investigation attire aujourd’hui moins, à tel point que certains responsables en viennent à parler de désaffection et réfléchissent aux moyens d’enrayer ces difficultés de recrutement1.

1 Il convient toutefois de souligner que la problématique de l’attrait de l’investigation est bien plus prégnante dans la police nationale que dans la gendarmerie nationale. Cette dernière, en raison de son maillage territorial, dispose de nombreux officiers de police judiciaire et ne semble pas rencontrer de difficultés majeures.

Les principales explications aux difficultés rencontrées tiennent davantage à l’exercice quotidien des métiers d’investigation qu’à une perte d’attraits de la profession. Reviennent ainsi systématiquement les explications liées à la complexification de la procédure pénale et à sa lourdeur, en dépit de promesses régulières d’allègement.

À cela s’ajoute aujourd’hui l’incertitude liée au projet de réforme de l’organisation de la police judiciaire par le biais de la généralisation des directions départementales de la police nationale. La commission des lois a créé une mission d’information sur ce sujet dont les

 

rapporteurs, Nadine Bellurot et Jérôme Durain, rendront leurs conclusions dans les prochains mois.

Dans ce contexte, le projet de loi a pour ambition, au travers des articles relatifs à la matière pénale, de faciliter l’exercice des missions d’investigation des forces de sécurité intérieure et de renforcer l’efficacité de leur action.

  1. FORMER DAVANTAGE D’OFFICIERS DE POLICE JUDICIAIRE

Partant du constat de la nécessité de disposer de 5 000 OPJ supplémentaires par rapport aux 17 000 emplois « cartographiés » aujourd’hui, le projet de loi entend faciliter l’accès à ces fonctions et encourager plus de jeunes policiers et gendarmes à s’y engager. L’article 9 permet ainsi le passage de l’examen d’OPJ dès la fin de la formation initiale des policiers et gendarmes, contre trois ans après la prise de fonction actuellement. Pour permettre cette évolution, la formation à l’examen a donc été intégrée depuis septembre dernier au programme des écoles de police et de gendarmerie. Bien que cette réforme ne produira sans doute pas d’effet massif en matière de recrutement d’OPJ, la commission a estimé qu’elle pouvait être intéressante au moins par l’enrichissement de la formation initiale qui en découlait.

La commission a également décidé, par parallélisme avec ce qui se pratique pour les élèves officiers de la police et les élèves commissaires, d’attribuer la qualité d’agent de police judiciaire aux élèves officiers de la gendarmerie nationale durant leur scolarité en formation initiale afin qu’ils puissent être en posture active durant leurs stages en unité territoriale (nouvel article 10 bis).

  1. CONCENTRER LES OFFICIERS DE POLICE JUDICIAIRE SUR LEUR COEUR DE MÉTIER PAR LA CRÉATION DE « GREFFIERS DE POLICE » ET LE DÉVELOPPEMENT DES AMENDES FORFAITAIRES DÉLICTUELLES

Les difficultés de recrutement des OPJ ayant été pour partie attribuées à la charge que représentent les formalités de procédure pénale, l’article 10 propose de créer une catégorie de personnels dédiés au respect du formalisme procédural. Présentés comme des « greffiers de police », ces « assistants d’enquête » seraient recrutés parmi les personnels de catégorie B de la police et de la gendarmerie ayant suivi une formation sanctionnée par un examen. Tout en reconnaissant l’intérêt que présente la création d’une telle fonction pour les services d’enquête, avec la création d’environ 5 500 postes d’assistants, la commission des lois a souhaité qu’une évaluation de cette réforme soit conduite dans les trois ans afin de mesurer son efficacité et le caractère adapté des missions confiées à ces agents.

Afin qu’ils puissent mieux concourir aux investigations conduites par les officiers de police judiciaire, la commission a renforcé les prérogatives des agents de police judiciaire, tout en conservant le contrôle exercé par les officiers de police judiciaire sur les actes de ces agents (nouvel article 13 bis).

L’article 14 du projet de loi prévoit, conformément à un engagement du président de la République, une extension à tous les délits punis de moins d’un an de prison de la possibilité de recourir à une amende forfaitaire. Pareille extension à plus de 3 400 infractions d’une procédure qui ne concerne aujourd’hui qu’une dizaine de délits n’a pas paru à la commission proportionnée ni adaptée aux besoins en termes de sécurité et de bonne administration de la justice. Elle a en conséquence adopté un amendement afin continuer sur la voie d’une extension du recours à l’amende forfaitaire délictuelle au cas par cas.

  1. ALLÉGER LA PROCÉDURE PÉNALE ET REDONNER DU SENS AU TRAVAIL DES POLICIERS ET DES GENDARMES

Le projet de loi ambitionne également de simplifier – à la marge – la procédure pénale en supprimant quelques exigences qui alourdissent les procédures suivies par les enquêteurs sans renforcer la protection des droits et libertés des citoyens.

C’est ainsi que l’article 8 permet d’étendre les techniques spéciales d’enquête et les garde à vues prolongées aux viols sériels et crimes sériels ainsi qu’à l’abus d’ignorance ou de faiblesse en bande organisée (qui est notamment le fait des mouvements sectaires). Il

 

autorise également le recours à ces techniques pour rechercher les personnes en fuite mises en cause en matière de criminalité organisée.

L’article 11, quant à lui, propose de supprimer, dans le cadre des enquêtes préliminaires ou de fragrance, l’obligation actuellement faite aux services en charge de l’enquête de procéder à une réquisition judiciaire pour solliciter les agents de police technique et scientifique afin qu’ils effectuent des constatations ou examens. La commission a considéré que les évolutions portées par cet article étaient pertinentes et a souhaité aller plus loin dans la clarification des procédures de recours à la police technique et scientifique, en particulier s’agissant des analyses réalisées à l’issue de prélèvements génétiques ou papillaires.

L’article 12 vise à prévenir la nullité de certains actes d’enquête au seul motif de l’absence de mention expresse, au procès-verbal, que l’agent qui a consulté un fichier était bien habilité à le faire. L’article 13 autorise les procureurs de la République à accorder des autorisations générales de réquisition dans certains domaines bien délimités, ce qui évitera aux enquêteurs de multiplier les demandes ponctuelles pour des actes routiniers. Le procureur est toujours avisé sans délai des réquisitions effectuées, ce qui lui permet de contrôler le bon déroulement des enquêtes.

  1. AMÉLIORER L’ACCUEIL DES VICTIMES ET LA RÉPRESSION DES VIOLENCES COMMISES SUR LA VOIE PUBLIQUE

L’article 6 du projet de loi tend à permettre la prise de plainte et la déposition par le recours à la visioconférence. Il s’inscrit dans le développement du recours à ces dispositifs en matière de procédure pénale depuis le début des années 2000. Ces nouvelles modalités de dépôt de plainte peuvent faciliter les démarches des victimes, pour lesquelles elles seront une simple faculté et non une obligation, et sont donc bienvenues. La commission a cependant souhaité prévoir explicitement que seules pourront être concernées les atteintes aux biens, les plaintes et dépositions relatives atteintes aux personnes devant le plus possible faire l’objet d’un accueil adapté au sein des locaux de police et de gendarmerie.

Le texte, par son article 7, tend à réprimer plus sévèrement l’outrage sexiste, qui est actuellement puni par une contravention. L’outrage sexiste aggravé deviendrait un délit puni d’une peine d’amende. La commission a approuvé cette évolution, qui envoie un message de fermeté aux auteurs de ces infractions, même si cette infraction reste difficile à constater sur le terrain. En 2021, 2270 contraventions pour outrage sexiste ont été enregistrées, ce qui paraît modeste au regard de la fréquence du « harcèlement de rue » dont sont principalement victimes les femmes.

La commission a également souhaité améliorer la réponse pénale sur trois enjeux essentiels : les violences faites aux élus, les refus d’obtempérer et les rodéos urbains. Elle a donc adopté un amendement portant article additionnel visant à renforcer les sanctions face à ces comportements (nouvel article 7 bis).

Elle a enfin adopté l’article 14 bis, issu d’un amendement de M. Levi, afin de supprimer la nécessité qu’une menace soit réitérée ou formalisée pour pouvoir être poursuivie.

  1. UNE RÉPONSE AUX NOUVELLES MENACES ET AUX CRISES PLUS ADAPTÉE
  2. RÉFORMER L’ORGANISATION DE CRISE

Les précédentes crises, qu’il s’agisse de la crise sanitaire liée à la covid-19 ou des tempêtes Alex (entre le 30 septembre et le 3 octobre 2020) ou de Corse le 18 août dernier, ont mis en exergue des difficultés auxquelles deux articles du projet de loi ont pour ambition de répondre en renforçant les capacités de gestion des crises des différents acteurs publics.

L’article 15, en premier lieu, tend à accroître les prérogatives des préfets de département afin d’assurer leur autorité sur les établissements publics de l’État et les services déconcentrés en cas d’évènements d’une particulière gravité. Cet accroissement des prérogatives serait décidé par le préfet de zone saisi par le préfet de

 

département lorsque ce dernier l’estime nécessaire pour rétablir l’ordre public et mettre en oeuvre les opérations de secours. Le projet de loi ne prévoyait initialement pas d’appliquer la mesure aux agences régionales de santé lors de crises régies par l’article L. 3131-1 du code de la santé publique (menaces sanitaires graves). La commission a supprimé cette exception, considérant qu’en temps de crise, une unité de commandement était nécessaire afin de redonner une clarté tant en interne à l’État qu’en externe, à l’égard des autres acteurs de gestion de la crise comme les élus locaux.

L’article 5 vise quant à lui à permettre la mise en place d’un nouveau réseau de communications électroniques des services de sécurité et de secours, permettant d’en assurer la résilience. Ce réseau serait dénommé Réseau Radio du futur. Alors que l’article prévoyait le recours à une habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance, la commission a supprimé cet article dans l’attente que le Gouvernement inscrive directement ces dispositions dans la loi, les avancées actuelles du projet le permettant.

  1. S’ADAPTER AUX NOUVELLES MENACES

Les cybermenaces sont devenues une réalité incontournable tant pour les particuliers et les entreprises que pour les administrations. Le rapport annexé au projet de loi rappelle que « la cyberdélinquance est en constante augmentation depuis plusieurs années, avec des taux de progression des faits constatés allant de 10% à 20% d’une année sur l’autre selon le type d’infraction » et il souligne que le ministère de l’intérieur joue le rôle de « chef de file de la lutte contre la cybercriminalité ».

Pour mieux lutter contre ces infractions cyber, le ministère entend investir dans des technologies nouvelles, former et recruter pour disposer de compétences pointues, et mettre l’accent sur la prévention, en lien avec l’agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), afin qu’entreprises et institutions soient sensibilisées à ces risques.

Le projet de loi comporte par ailleurs deux mesures ponctuelles destinées à faciliter le travail des services enquêteurs :

– d’abord, la saisie de crypto-actifs dans le cadre d’une procédure pénale sera facilitée (article 3); ces actifs immatériels peuvent être aisément transférés, ce qui appelle une action rapide de la part des officiers de police judiciaire ;

– ensuite, en cas d’attaque au rançongiciel, la victime qui accepte de payer une rançon ne pourra être indemnisée par son assureur, si elle a souscrit cette garantie, qu’après avoir déposé plainte (article 4) ; cette exigence nouvelle vise à aider les policiers et les gendarmes à avoir une connaissance plus précise de ces infractions et à favoriser ainsi le déroulement de leurs investigations et la poursuite des auteurs ;

– enfin, la commission a souhaité étoffer les moyens mis à la disposition des enquêteurs menant une enquête sous pseudonyme, en complétant la liste des actes que les enquêteurs seraient autorisés à accomplir, avec l’autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction (nouvel article 4 bis).

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